Mieux connaitre notre faune aquatique
Lorsque le soleil est au rendez-vous le Week-end ou pendant les vacances scolaires, nous Tahitiens, aimons aller à la rivière en famille. Cependant savons-nous quels êtres vivants habitent dans ces milieux d’eau douce ? Pour la plupart d’entre nous, non ! Ce qui est vraiment dommage. Il faudrait que l’on connaisse et que l’on donne de l’attention à notre faune aquatique qui fait partie de la richesse de notre biodiversité.
Espèces « amphihalines » de nos rivières tahitiennes
Il faut savoir que nos rivières sont une grande richesse naturelle pour Tahiti et toutes les îles hautes de la Polynésie française, au niveau de la biodiversité aquatique où elles hébergent de nombreuses espèces de poissons d’eau douce et de crustacés (crabes et chevrettes). Étant donné que l’île de Tahiti a été créée en plein Océan Pacifique, il y a environ 2 millions d’années, ses rivières ont été colonisées par des espèces venues directement de la mer qui se sont adaptées à ces nouveaux milieux d’eau douce. Ces espèces, dont le cycle de vie comprend une partie en mer et une partie en rivière, sont dites « amphihalines ». Parmi elles, 14 espèces, réparties dans 5 familles, sont présentes :
Famille | Genre | Espèce | Nom français | Nom tahitien | Cycle de vie |
---|---|---|---|---|---|
Anguillidae | Anguilla | marmorata | Anguille marbrée | puhi paa | Catadrome |
megastoma | Anguille de montagne | puhi mouà | |||
obscura | Anguille de vase | puhi vari | |||
Eleotridae | Eleotris | fusca | Eleotris brun | kokopu | Amphirome |
Gobidae | Awaous | ocellaris | Gobie ocellé | moomoo | Amphirome |
Sicyopterus | lagocephalus | Sicyoptère bec de lièvre | àpiri | ||
pugnans | Sicyoptère combattant | ||||
Stenogobius | genivittatus | Gobie rayé | ôopu | ||
Stiphodon | elegans | Stiphodon élégant | tuivi | ||
Kuhliidae | Kuhlia | malo | Doule polynésien | Catadrome | |
Palaemonidae | Macrobrachyum | aemulum | Chevrette imitatrice | / | Amphirome |
australes | Chevrette australe | ôura ìtara | |||
lar | Chevrette divine | ôura òihaa | |||
latimanus | Chevrette à larges pinces | ôura ônana |
Leur cycle de vie
Ces espèces « amphihalines » peuvent se classer selon leur cycle de vie. Deux types se distinguent :
Amphihaline amphirome
Le cycle de vie « amphihaline amphirome » comprenant les espèces de la famille des Gobiidae (famille de poissons, connue sous le nom de inaa), Eleotridae (famille de poissons, connue sous le nom de kokopu) et Palaemonidae (famille de crustacés, connue sous le nom de ôura). Les adultes vivent et se reproduisent en eau douce. Les femelles pondent des œufs sur le substrat. Les œufs éclosent en donnant des larves qui vont être entraînées par les courants dans l’océan pour une durée d’environ 50 à 300 jours. Après cette période en mer, ces larves retournent en rivière pour réaliser leur croissance.
Amphihaline catadrome
Le cycle de vie « amphihaline catadrome » comprennent les espèces de la famille des Anguillidae (famille de poissons, connue sous le nom de puhi) et Khuliidae (famille de poissons, connue sous le nom de nato). Ces espèces passent la majorité de leur vie en rivière pour effectuer leur croissance et ne vont quitter le milieu continental vers le milieu marin que pour aller se reproduire.
Leur distribution dans les rivières tahitiennes
Les rivières tahitiennes peuvent être découpées en 5 zones distinctes (Keith et al., 2002), selon l’altitude et la vitesse des courants :
- La zone des sources : c’est la zone ou les rivières se forment aux milieux des versants vertigineux au-dessus de 800 m d’altitude.
- Le cours supérieur : la rivière circule entre des blocs rocheux entre 800 et 300 m d’altitude, la pente est forte et le courant est rapide (75 à 100 cm/s)
- Le cours moyen : l’eau circule sur un substrat de galets et de blocs, entre 300 et 50 m d’altitude, la pente est moyenne (inférieure à 10%) et le courant est caractérisé par un débit compris entre 30 et 75 cm/s). Il est généralement le faciès majoritaire.
- Le cours inférieur : en-dessous de 50 m d’altitude, le substrat varie de sableux à pierreux, la pente est négligeable et le courant est considéré comme calme (0 à 30 cm/s)
- L’estuaire : il appartient au cours inférieur mais s’en différencie par le caractère saumâtre de l’eau. Il apparait sur les dernières dizaines de mètres avant l’océan, le substrat est sablo-vaseux, la pente et le courant sont faibles.
Les espèces amphihalines se répartissent selon ces deux facteurs, en particulier la vitesse du courant car la majorité d’entre elles sont rhéophiles ; elles aiment évoluer dans les zones de courant important.
Un gradient de densité de l’aval vers l’amont
Pour toutes ces espèces, un gradient de densité existe de l’aval vers l’amont (du bas vers le haut). Etant donné que leur cycle de vie comprend une phase en mer, ces espèces ne sont pas obligées de remonter jusqu’en haute vallée, elles ont tendance à remonter la rivière puis dès qu’elles trouvent leur habitat préférentiel, elles y restent. Ce qui explique que la densité des espèces est plus importante en basse vallée (exemples de la densité de toutes les espèces amphihalines dans la vallée de la Papenoo).
Identification des espèces amphihalines
L’identification des 14 espèces amphihalines, citées précédemment, s’effectue selon des critères morphologiques (Keith et al., 2002).
Les Anguillidae
Les Anguillidae, comptant 3 espèces, sont identifiables par rapport à leur couleur mais le meilleur moyen de les identifier est le ratio morphométrique R (Ege, 1939 et Watanabe et al., 2004b). Ce ratio est calculé grâce à trois mesures réalisées au millimètre près sur l’anguille. Trois longueurs sont ainsi mesurées : la longueur totale (LT), la longueur entre le bout de la tête et le commencement de la nageoire dorsale (LD) et la longueur entre le bout de la tête et l’anus (LA).
R = LA – LDLT
Ratio R (%) | Espèce |
---|---|
R < 8 | Anguilla obscura |
R de 8 à 13 | Anguilla megastima |
R > 14 | Anguilla marmorata |
Anguilla marmorata
Se reconnaît par sa robe marbrée tachetée. Elle peut atteindre des tailles et diamètres considérables ; elle peut atteindre jusqu’à 2m et plus de 20 cm de diamètre. Elle peut également être identifiable par sa dentition, en forme de « W », et dont les branches de la mâchoire supérieure sont composées de deux bandes.
Les Palaemonidae
Les Palaemonidae, comptant 4 espèces, sont facilement identifiables grâce à plusieurs critères tels que leur couleur, la longueur de leurs pinces et leurs rostres, etc.
Les Gobiidae
Les Gobiidae, comptant 5 espèces, sont les plus difficiles à distinguer.
Sicyopterus lagocephalus
Se reconnait à trois encoches visibles sur la lèvre supérieure. Le mâle présente des couleurs plus vives bleu-vert tandis que la femelle est plus terne avec une couleur marron. Les bords de la nageoire caudale est rouge-orangée et cette espèce possède une ventouse lui permettant de s’accrocher aux galets.
Sicyopterus pugnans
Se reconnaît à sa coloration jaune ou bleue. Une bandelette noire verticale est présente sous l’œil. Chez la phase jaune, la tête est parsemée de points oranges. Chez l’adulte, une tâche noire est visible en forme de Y sur l’isthme de la gorge et cette espèce possède également une ventouse.
La particularité de l’anguille, symbole écologique et culturel
Le plus grand prédateur de nos rivières tahitiennes est l’anguille, symbole écologique. Ce poisson équilibre toute la chaîne alimentaire des milieux d’eau douce tahitiens. Un dicton polynésien dit qu’« une rivière est en bonne santé s’il y a des anguilles » ; cela ne signifie pas pour autant que les anguilles nettoient la rivière des déchets mais que, si les anguilles sont en bonne santé, le reste de la chaîne alimentaire l’est aussi.
L’anguille est également un symbole culturel ; elle est considérée comme sacrée et fait l’objet de légendes et est souvent citée lors de manifestations culturelles. La plus connue des légendes est celle de Hina et du cocotier, narrant l’histoire de la création du premier cocotier issu de la tête d’une anguille enfouie dans la terre. Le fruit de l’arbre, le coco est doté de trois tâches symbolisant les yeux et la bouche de l’animal. De ce fait, la population locale vénère ce poisson, de forme serpentiforme, comme un gardien sacré de notre fenua. Les habitants construisent chez eux des bassins d’anguilles en les domestiquant. Les rivières tahitiennes sont peuplées d’anguilles, mais aucun commerce n’est mis en place sur le territoire, même si une minorité est friande de leur chair savoureuse et les considère comme une ressource gratuite. Leur consommation reste « taboue », car le symbole culturel demeure puissant.
Herehia HELME