E hopu i te vai i Vai-ta-piha…
E moti i Te-reà-iti ē, haere roa i Rapaè : ò Tautira ia, ò Fatutira.
Ò Tautira e paiùmaraa o te rā, ò Fatutira e paiùmaraa o te atua.
E mouà tei nià ò Tahua-reva i te rua o te mataì,
E tahua tei raro ò Tiàraa-o-Pere,
E ôutu tei tai ò Tatatua
E hopu i te vai i Vai-ta-piha
E marae ò Pureora no Taaroa
Ò Taputapuatea no Òro
E motu ò Tiare iti, Fenua-ìno e ò Ài-hutu
E ava ò Vai-ùrua, Vai-o-nifa e Te-àfā i Tautira.
E arii rahi ò Te-arii-na-vaho-roa-i-te-tau-o-te-raì,
Te arii ò Te-atua-nui-haamaru- raì
E àfaì veà ò Tavi e ò Tira-hete.
Te fare arioi ò Pa-raro
Te raatira àrearea ò Teraa-roa.
Ò Fatutira i te tai paaìna.
Introduction
C’est ainsi que les anciens présentaient Fatutira, aujourd’hui Tautira, où coule la grande rivière Vaitapiha. Teuira Henry en propose la traduction suivante dans son ouvrage Tahiti aux temps anciens.
« Tautira. — De Rāpaè à Te-reà-iti (Petit Curcuma) s’étend Tautira (mât posé) appelé aussi autrefois Fatu-tira (maître des mâts), Paiumaraa-rā (Lieu où gravit le soleil), Paiumaraa-o-te-atua (Lieu où gravissent les Dieux) dans l’Est. La montagne qui domine est Tahua-reva (plancher dans l’espace). Le terrain de réunion Tiàaraa-o-Pere (Lieu où se tient Pere-Pele déesse hawaiienne du volcan). La pointe est Taurita, elle est longue et large. La rivière est Vai-ta-piha (Eau en compartiments) constituée par deux cours d’eau réunis. Le marae était Pure-ora (Prière qui sauve) placé sous la protection de Taaroa et Taputapuatea (sacrifice du dehors) après l’arrivée d’Oro à Tahiti. Les îlots sont Tiare-iti (petit gardénia), Fenua-ino (mauvaise terre) et Ai-hutu (Mangeur de Barringtonia). Les ports sont Vai-urua (Eau enchantée), Vai-o-nifa (Eau de nifa — poisson —) et Te-afa (la fissure) dans la baie de Tautira. Le grand chef était Te-arii-na-vaho-roa (Le chef suprême). Le même que pour Teahuupoo et le chef secondaire était Te-atua-nui-haamaru-raì (Le grand Dieu qui obscurcit le ciel). Les messagers ou orateurs étaient Tavi (Bruissement) et Tira-hete (Mât d’invocation). La maison arioi était Pa-raro (mur inférieur) et son chef était Te-raa-roa (Le tout à fait sacré). »
Mataèinaa puissant dans les temps anciens, Tautira doit sa puissance en grande partie à la fertilité de son territoire, fertilité assurée par la rivière Vaitapiha plus connue aujourd’hui sous le nom de Vaitepiha.
Ataaroa est le nom de la basse vallée de la rivière Vaitepiha dont l’embouchure se situe à l’entrée ouest de Tautira. Tahuareva est la colline qui surplombe cette embouchure (rive gauche) et la baie de Tautira dite Baie de Vaitepiha, re-nommée Puerto de la Santisima Cruz par le commandant espagnol Domingo de Boenechea en 1772. Près de cette embouchure les Pères espagnols avaient construit leur Mission catholique en 1774.
La rivière Vaitepiha prend sa source au pied du mont Urau et ses affluents naissent dans un amphithéâtre délimité par les monts Urau (1256m), Orofaamu (1003m), Maire nui et Teava. Ce cirque est le vestige d’une caldeira ancienne.
De nombreux cours d’eau et ruisseaux alimentent la Vaitapiha et les crues peuvent être très rapides. Depuis la construction du pont qui a remplacé le radier, l’on n’est moins sensible à la hausse du niveau de l’eau mais les riverains connaissent bien les humeurs de cette rivière et ont appris à vivre avec. Cette eau abondante sur une terre fertile permet à la végétation de se développer et beaucoup de « vieux » vivent encore de la cueillette des māpē, comme l’atteste la présence des petits tas de coques au sol.
La Basse Vallée
Partir à la découverte de la vallée de la Vaitepiha n’est pas très difficile. Il est toutefois nécessaire d’obtenir la permission des riverains pour s’aventurer dans la vallée. En voiture, il faudra tout d’abord prendre le chemin de terre qui se situe juste après le pont qui enjambe la rivière Vaitepiha. Cette route qui n’est pas goudronnée est cependant facile d’accès même avec une petite voiture de type « citadine ». Il est possible de garer sa voiture à la fin de cette route –à environ 10 minutes – non loin de la propriété du sculpteur Tunui Salmon (à gauche de la route), devant laquelle un tii de pierre est visible. Une chaîne signale la fin de cette route.
Une randonnée d’environ 4 heures au départ de ce « parking » permet d’avoir un aperçu de la richesse de la vallée.
La vallée de la Vaitepiha abrite une faune et une flore relativement riches, malgré le nombre de visiteurs croissant qui s’y promènent. Il n’est pas nécessaire de marcher durant des heures pour apercevoir des ôtuu ou aigrettes sacrées, des moora òviri ou canards à sourcils, ou encore des ào ou hérons striés.
Même si les miconias ont envahi la vallée, la flore demeure riche ; dans les forêts de pūrau, on voit encore de nombreuses variétés de fougères et d’orchidées indigènes.
La randonnée commence assez facilement ; il faut traverser un petit ruisseau et ensuite le chemin est relativement plat et dégagé.
En prenant son temps pour admirer les forêts de māpē, les guirlandes de fougères māve, et les bouquets de ôàha dans les arbres, à environ 40 minutes de marche, on arrive à une structure ancienne constituée, sur la gauche du chemin, de vestiges d’anciens pavages et murs d’enclos ainsi que de marae qui s’étendent sur la colline en pente.
Le Premier Bain
Un peu plus loin, à environ 5 minutes de marche, il y a un joli bain dans un coude de la rivière que les gens appellent « lagon bleu ». Cette terre se nomme Tuituipenu. C’est un endroit abrité où l’eau est suffisamment profonde pour permettre les plongeons depuis le mato qui surplombe la rivière.
Une corde a été installée afin de faciliter l’accès à ce mato. L’eau y est très propre, claire et fait le délice des randonneurs. On y voit des nato argentés, des chevrettes ou ôura pape de type ôihaa, ônana etc. Y vivent également des puhi peu farouches qui se laissent approcher facilement.
De cet endroit idéal pour faire une pause piquenique et baignade, on a une vue magnifique sur Vaiami à l’est, Te Niu et Mairenui, derrière, dans le fond de vallée.
Les Vestiges Lithiques
On doit à José Garanger l’étude des structures archéologiques dans la vallée ; il y effectua des fouilles dans les années 1960. En prenant appui sur la tradition orale, ses recherches lui permirent, entre autres, d’émettre des hypothèses sur l’occupation humaine de la vallée, l’organisation sociale avant le Contact et la signification des marae dans l’organisation de l’espace des anciens Māòhi. Ces prospections venaient compléter les recherches entreprises à la Presqu’île par Kenneth Emory à partir des années 20, et les descriptions faites par Georges Lidin et Yves Malardé dans les années 30. Ainsi, parmi les structures toujours visibles dans la vallée on enregistre des murs d’enclos, et des terrasses construites pavées ou non, à vocation religieuse ou non.
On peut avoir un aperçu de la richesse de ce patrimoine lithique en poursuivant la visite de la vallée de Vaitià. Pour ce faire, arrivés au premier point de baignade, il faudra poursuivre le chemin qui se situe sous les pūrau. Cinq minutes plus tard, on arrive dans une forêt de bambous où les traces de cochons sauvages sont nombreuses.
Le Deuxième Bain
Un quart d’heure plus tard, on découvre un deuxième bain magnifique ; les couleurs de la roche tranchent avec celle de l’eau et en font certainement le plus beau point de baignade de la Vaitepiha.
Arrivés à ce bain situé en contrebas du chemin, il faut traverser pour regagner l’autre rive.
La végétation est la même qu’en aval ; pūrau, māpē, òfe, fougères tiàtià mouà, metuapuaa, âmoà, maire, ôàha, nahe, māmaù, ùù, metuarimu…
Une fois de l’autre côté de la rivière il faut compter 15 minutes de marche, pour arriver au deuxième gué ; là, il faut traverser pour revenir sur la rive gauche de la rivière (côté droit lorsqu’on regarde le fond de la vallée donc).
En traversant la rivière on voit Te ure Vaiarava qui culmine à 866m, et dix minutes plus tard, on arrive enfin à un marae en assez bon état de conservation.
Le Marae
Les structures sont bien visibles (patu, ahu, ôfaì tià, …) même si on ne peut que regretter que la végétation ait envahi les lieux et menacent d’accélérer la dégradation du site. Ce site se situe en contrebas d’un piton rocheux et au-dessus de l’eau, là où les bras de la rivière se rejoignent. Il faudra plus de temps et une bonne condition physique pour s’aventurer plus loin.
Sur le chemin du retour, on peut s’attarder sur les structures éparses sous les bambous, mais attention ! Le chemin n’y est pas balisé. Si l’on n’est pas sûr de soi, mieux vaut reprendre le même chemin qu’à l’aller.
La rivière Vaitepiha, nourrit depuis des générations le mataèinaa de Tautira, et si une randonnée au sein de la vallée permet d’en découvrir les richesses, une visite de l’aval de la rivière permet de constater que les terres enrichies par cette rivière sont toujours exploitées par la population.
La Plaine Fertile
Dès que l’on passe le pont de Tautira, on est accueilli par une allée de tumu ùru qui abrite des plantations de papayers et de tiare tahiti entre autres. Lorsque l’on s’enfonce dans les petits chemins qui quadrillent le village, on est frappé par la multitude de plantations, dont les fameux paì taro. Ces paì taro prospèrent grâce aux divers cours d’eau issus de la Vaitepiha.
La rivière Vaitepiha qui se déverse dans la baie de Tautira a ouvert une passe, celle de Teafa, qui permet aux bateaux d’entrer dans la baie de Tautira pour s’abriter des vents d’est dominants.
Les Pêches Communautaires
À intervalles réguliers les inaa –alevins de ôopu– cherchent à remonter la rivière ; leur concentration dans la baie de Tautira attire alors les prédateurs tels les ature qui en sont friands, mais aussi les prédateurs de ces ature, à savoir les âahi et les àuhopu ; c’est ainsi que cette baie connaît encore régulièrement des épisodes de pêche dite « miraculeuse » de ature, pāàihere ou àuhopu comme celles d’août 2017.
Tautira a une longue tradition d’activités communautaires ; la pêche au ùpeà rahi -grand filet- dans les années 60- avec le propriétaire Tutaha Salmon, a contribué à perpétuer cette réputation d’abondance dont jouit Tautira encore aujourd’hui. Depuis plusieurs années, cette pêche a été remplacée par une pêche aux filets de taille plus modeste mais l’ambiance est toujours aussi enthousiaste et collaborative lorsqu’il s’agit de resserrer les filets en rapprochant les pirogues mais surtout lorsqu’il s’agit de hisser à terre le filet chargé de ature et d’enfiler les poissons sur des filoches de pūrau pour les proposer à la vente sur le bord des routes.
Une autre pêche mobilise plusieurs familles de Tautira ; il s’agit de la pêche règlementée au troca et burgau (plus rarement), coquillages commercialisés pour leur nacre.
Influence sur les Artistes
La rivière de Vaitapiha qui a enchanté les artistes étrangers comme le peintre John Lafarge ou le photographe Lucien Gauthier, draine des alluvions qui enrichissent toute la côte de Tautira, et qui permettent la vie du village dont le terrain de réunion se nomme Tiàraa o Pere.
Le Village
La grande plaine qui s’étale au pied de la vallée est suffisamment vaste pour contenir toutes les facilités des temps modernes. Outre les habitations de la majorité de la population qui y sont installées –l’obligation de concentration de la population tahitienne autour de l’habitation du chef et obligeant les autochtones à abandonner la vallée et leurs peho date de 1862-, on y trouve la mairie, une école, des commerces, les églises des principales confessions religieuses ainsi qu’un grand cimetière et une marina d’où partent les navettes vers le fenua àihere situé plus au sud, au-delà de la route carrossable. Depuis 3 ans, une aire de détente a également vu le jour au lieu-dit Tatatua sous la vigilance du grand tii de pierre.
Depuis le mont Tahuareva, nul doute que le grand àito Honoùra continue d’encourager ses descendants dans leurs activités quotidiennes, lui qui défendit les couleurs de son mataèinaa en toutes occasions et accompagna le grand navigateur Taìhia sur le Grand Océan…
Sources
BUTAUD, Jean-François : » Vallées tahitiennes« « , guide floristique, Direction de l’Environnement.
DENEUFBOURG G. : « Notice explicative sur la feuille Tahiti », Commission de toponymie des EFO 1952-1954.
EMORY, Kenneth : « Traditional history of maraes ».
GARANGER José : « Recherches archéologiques dans le district de Tautira (Tahiti, Polynésie française) ». In: Journal de la Société des Océanistes, tome 20, 1964. pp. 5-22 doi : 10.3406/jso.1964.1893 http://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1964_num_20_20_1893
HENRY, Teuira : « Tahiti aux Temps anciens » Publication de la Société des Océanistes n°1, Paris 1968.
TEAUNA, Pouira, dit Tearapō : « Parau tumu nō Tahiti iti », livret 3, Pū Te Anavaharau, 1997.
Te Veà : « Himene paripari no Tautira, Tiurai 1937 », mē e tinu 1938
Journal of the Polynesian Society : « The Legend of Honoùra », vol 4, n°4, 1895, pp 257-294.