Située à quelques encablures du col de Taharaa, la rivière Pōfaifaatara qui coule dans la vallée de Tefaaroa est la rivière la plus importante de Ârue [1].

Elle s’est formée à la source unique de Vaiàreàre dans la vallée suspendue de Tatafefe, sur le versant d’un contrefort escarpé du mont Aoraì. Elle a creusé la vallée de Tefaaroa sur une longueur d’environ 15km et une largeur de 150m environ dans sa partie la plus ample [2].

Les affluents des vallées secondaires tout aussi escarpées de Tefaaiti et de Vairutu se jettent dans son cours moyen. Durant les temps pluvieux, l’eau de ruissellement de la Maaraafaa termine sa course dans cette rivière dans la basse vallée.

Jusqu’en 1970, les points de baignade sur son cours inférieur étaient toujours fréquentés. L’eau coulait en surface jusqu’à l’embouchure, où le rivage est parsemé de rochers charriés lors de ses crues saisonnières.

La Rivière de la Vallée de Tefaaroa

Les rivières et les petits cours d’eau dans les îles de Polynésie se désignent par une ou plusieurs appellations aux interprétations souvent difficiles. Ces toponymes ont été attribués par les anciens habitants pour désigner une zone importante et exprimer des faits ayant marqué leur vie sur les terres attenantes. La rivière de la vallée de Tefaaroa n’échappe pas à cette règle. Au fil des temps, elle a porté les noms suivants :

a) Vaihāveà (l’eau des quatre oiseaux messagers) : Une légende dit que sur le chemin qui le mena à la source de Vaināhiti pour retrouver le joyau de sa fille, le héros légendaire Hiro entendit le chant d’un oiseau à chaque traversée de cours d’eau. À Vaihāveà, Hiro reconnut le pluvier fauve au chant grave de Tefaaroa : « … i Vaihāveà, torea iti taì raro nō Tefaaroa ».

b) Pōfaifaatara (la nuit -ou à son insu- fournir à quelqu’un de quoi se défendre) : Un des grands sites anciens du district de Ârue, le marae Ahuriri (plateforme de la colère), était édifié non loin du rivage et s’étendait le long de la basse vallée de Tefaaroa.

c) Tūtaipaapaa (nuages rouges à l’horizon brûlés par le soleil). Ce nom aurait été donné, par pudeur, par l’ancien mūtoì de Ârue. En effet, le toponyme correct est Tūtaepaapaa (excréments brûlés par le soleil) qui indique l’habitude de certains anciens habitants de déféquer dans le lit de la rivière sur les rochers brûlés par le soleil…

La rivière Pōfaifaatara est formée de méandres encaissés qui serpentent dans un lit de faible amplitude depuis la haute vallée jusqu’à l’embouchure. Selon le géographe François Taillefer, ces sinuosités de la rivière et celles de la vallée sont étroitement liées.

Ce cours d’eau a une activité visible en surface seulement une partie de l’année. Mais son lit semble assez enfoncé au-dessous de la surface car les eaux les plus hautes n’inondent pas les abords de la rive convexe où se trouve la majorité des habitations.

Les grandes crues annuelles sont annoncées par le sifflement strident des ârevareva. Aussi longtemps que durent ces sifflements, du lever au coucher du soleil, même pendant plusieurs jours, les pluies diluviennes qui s’abattent sur la vallée ont des conséquences spectaculaires.

Jusqu’à ce jour, la rivière Pōfaifaatara n’a pas fait de victime humaine. Malheureusement, c’est le moment que des habitants peu soucieux de l’environnement choisissent pour se débarrasser de leurs déchets en les jetant dans la rivière, malgré le ramassage journalier effectué par les services communaux.

Une Baie Garde-Manger : « E Miti Pātere Înaì »

Âtitautumuri : Sur la côte, la vallée s’ouvre sur la baie Âtitautumuri qui donne sur le large. Sur la barrière récifale immergée se trouvent des trous à thons. Pour la pêche, un puna ià (pierre attirant magiquement le poisson) était exposé sur un site de la terre Ààupiri jusque dans les années 60. Depuis, son emplacement reste vide.

Sur la partie nord de la baie, se trouvent :

Māòti : c’est un haut fond immergé situé au nord du récif de Māìvi. Les natifs de Ârue y pratiquent toujours la pêche sous-marine. Lorsque les vagues s’y forment, c’est le signe que la mer est très forte. C’est alors une aubaine pour les meilleurs surfeurs du district.

Māòti (en bas à droite)Māìvi

Māìvi : c’est un récif frangeant qui tire son nom du dicton « … Àuaè te vahine māìvi e tātara i te piri huna a Hiro… » qui peut se traduire par « … grâce à la veuve, l’énigme de Hiro fut résolue ». Allusion aux recherches de Hiro pour retrouver les joyaux de sa fille dans la légende des Nahiti (Te âài o Nāhiti e rua, Pouira a Teauna). Facile d’accès depuis la plage, ce récif a nourri et continue de nourrir les familles modestes de Ârue et des communes environnantes.

Le Surf et la Plage

Hōrue : Sur le plan d’eau de la baie Âtitautumuri, les jeunes gens du district vont surfer les déferlantes qui se brisent sur les rochers à l’embouchure de la rivière Pōfaifaatara. Ils surfent aussi les vagues qui se brisent dans la baie et qui grattent le gravier de la plage.

C’est là que des générations d’habitants des environs, notamment ceux de la vallée de Tefaaroa, ont été un jour roulés sur le sable par les vagues après avoir bu de l’eau sablée salée.

Faahee tino : Ces moments peu agréables arrivent, lorsqu’après avoir constaté l’ampleur des vagues, on décide quand même de surfer sans planche avec son propre corps.

Âtitautumuri, un Nom Important

La rivière Pōfaifaatara termine sa course dans la baie Âtitautumuri, du nom d’une terre située sur le front de la colline qui se dresse juste au-dessus.

Dans la basse vallée, des tas de pierres à l’aspect insignifiant sont les seuls vestiges des grands sites anciens de la vallée que furent le marae Àhuriri, érigé sur la rive gauche de la rivière, et la plate-forme Paepaeroa, à l’ouest de la route de pénétration.
Ces deux édifices étaient utilisés par les Âtitautumua, connus comme pêcheurs de âahi tātumu, les Âtitautumuri, maîtres dans la pratique de la circoncision, et les Âtitevāeà, instigateurs de paix et d’abondance.

Pōpoti miti : Ceux que les bains de mer ou le surf indisposent restent sur la plage. Il est sûr qu’en rentrant après le hopuraa miti, c’est de chez eux que se dégage la bonne odeur de friture des pōpoti miti, ces petits crabes cuirassés qui s’enterrent dans le sable mouillé et qu’ils se sont amusés à ramasser en creusant.

Vaipōpōti et Vaitōrea : Sur le littoral en direction du nord-est, les ruisseaux d’évacuation des deux sources naturelles d’eau douce se déversent sur la grande plage de sable noir de la baie.

Ce sable est aspiré lors des épisodes de houle du nord de décembre et laisse place aux rochers charriés par la rivière.

Le premier des trois arbres repère : Sur les berges de la rivière, de l’embouchure jusque dans la moyenne vallée, se trouvent trois énormes arbres centenaires, des àutaraa. Le premier, situé sur la rive droite au bord de l’embouchure, a servi de lieu de rencontre pour les rendez-vous galants.

Le Deuxième Arbre Repère

Le deuxième àutaraa centenaire se trouvait sur la rive droite dans la basse vallée et servait de repère pour retrouver le sentier qui mène aux faaapu dans la montagne. Le pied mère a été abattu en premier il y a une dizaine d’années parce que, selon Ricardo MAHAI, le riverain le plus proche : « l’eau des crues a tellement creusé sous ses racines qu’il menaçait de tomber en travers de la rivière, et de causer des dégâts aux habitations. De plus, il faisait beaucoup de pehu ; de là-haut ses longues branches atteignaient les propriétés environnantes…. Récemment, tous ses rejets ont aussi fini tronçonnés comme le pied mère ».

De l’eau au robinet : La concentration des habitations au fond de la basse vallée et au début de la moyenne vallée a nécessité, entre 1980 et 1990, la construction d’une structure de pompage, de stockage et de distribution de l’eau potable dans toutes les habitations.

l’Au-revoir du Ârevareva

Ârevareva : À hauteur du deuxième pont, se trouve un énorme manguier où, en novembre 1998, un ârevareva est venu se percher très bas et s’est mis à siffler sur un ton particulier, comme pour attirer l’attention. Quelque temps plus tard, des intempéries ont provoqué une montée des eaux dans la vallée de Tefaaroa et détruit plusieurs pans des murs de soutènement faits d’énormes rochers en de nombreux endroits dans le cours inférieur de la rivière.

Après la grande frayeur suscitée par la force de l’eau et la lenteur de la décrue, tous les habitants ont apprécié de pouvoir se baigner à nouveau sans crainte dans les vasques habituelles dans la rivière qui venait de s’auto-nettoyer.

Depuis, les saisons de pluie se sont succédé et les ârevareva ne sont plus revenus siffler. Faut-il croire qu’ils ne reviendront que pour nous prévenir de l’imminence d’une grande crue ?

Vaitāreua, le Bassin de Captage de l’Eau

Un souvenir de la vie d’autrefois dans cette vallée. De forme rectangulaire d’environ cinq mètres en longueur, trois en largeur et deux en hauteur, ce bassin se trouve sur le flanc d’une parcelle de la terre Âtitevāeà, à mi-parcours dans la basse vallée. L’eau provient d’un forage dans le roc de la source Vaiààma, recouverte d’un couvercle en béton, puis transportée dans le bassin Vaitāreua au moyen d’un gros tuyau en fer. Le trop plein d’eau se rejette à l’extérieur par un autre tuyau de taille plus petite.

Dans les années 1960 à 1975, lorsque l’eau ne coulait pas dans les foyers, tous les habitants se rendaient à ce bassin pour faire leur lessive et y puiser l’eau qui était transportée à dos d’homme pour les besoins domestiques.

Pour y parvenir, il fallait marcher dans un terrain boueux, se frayer un chemin parmi les branches couchées d’énormes pieds de pūrau, puis gravir une petite pente d’environ 100m de long.

Les Vestiges Archéologiques du Marae Ahuriri

À la fin du XIXe siècle, bien que de confession religieuse nouvelle, les résidents prenaient soin de ces éléments qui appartenaient à une croyance du passé.

Sur un terrain en pente et perpendiculaire à la rivière, après un épisode pluvieux, plusieurs ossements humains, parmi lesquels des boîtes crâniennes fendues en deux, sont apparues à la surface. Par respect, les habitants les ont recouverts de terre pour ne pas les laisser à l’air.

Une grande pierre équarrie est visible à deux ou trois mètres de deux pierres dressées sur un ahu.

Non loin, un alignement de pierres se présente : Signifie-t-il une séparation de propriété ou est-ce un mur du marae Ahuriri ?

Des amoncellements d’éclats de pierres : Dans la même zone, sur la pente du versant est de la vallée, se trouve une dizaine d’amoncellements d’éclats de pierres taillées. Les parcelles ayant été aménagées en lots constructibles, les travaux ont détruit quelques-uns de ces amas de pierres.

À proximité de l’un des tas en bon état, il a été trouvé il y a deux décennies une énorme herminette d’environ 30 cm à la base avec un manche d’une dizaine de centimètres. Plus récemment, une petite herminette y a aussi été trouvée.

Des relevés succincts de ces vestiges ont été effectués en 2004 par le bureau d’archéologie du service de la culture et du patrimoine.

Les familles propriétaires cohabitent toujours avec ces marques du passé.

Vallée de Tefaaroa : Garde-manger Pour la Collectivité

Les vergers d’arbres fruitiers : ils étaient cultivés sur le versant est de la basse et moyenne vallée de la Tefaaroa : manguiers, arbres à pain, bananiers toutes variétés confondues, acajou, caféiers, citronniers, papayers, avocatiers, pacayers, kapokiers, cocotiers. On y cultivait aussi du manioc, des patates douces et de la vanille.

Aujourd’hui les cultures vivrières ont été délaissées et seuls les grands arbres fruitiers continuent à produire généreusement des fruits en saison.

Dans la vallée secondaire de la Maaraafaaa poussaient bananiers, caféiers, cocotiers, avocatiers et arbres à pain.

Aujourd’hui, il ne reste que cinq à six arbres à pain, quelques caféiers, une petite bananeraie que l’on atteint en se frayant un passage parmi les àpe ; le tout recouvert de lianes de hora pāpua. La raison de cet abandon ? : les fourmis de feu qui ont infesté les fāapu et en ont empêché l’accès.

Des arbres comme le hutu, plantés jadis par ceux qui vécurent dans la vallée de Tefaaroa, ont également disparu.

Le Dépotoir Communal

Au cours des années 1970, un dépotoir communal a été implanté au centre de la zone convexe la plus importante du cours moyen de la rivière Pōfaifaatara. Cette zone a été raclée de son sable terreux qui a servi à consolider et à surélever la rive gauche afin de prévenir et d’empêcher tout débordement. Ce dépotoir à ciel ouvert a eu des conséquences néfastes sur la vie dans toute la vallée. Aucune mesure d’hygiène n’ayant été prise, les mouches affluaient au moment de la préparation des repas et se posaient comme du poivre en grain sur la nourriture plusieurs années durant.

Les ordures ménagères de la commune de Àrue furent ensuite acheminées à Tipaeruì puis à Paìhoro, et ce dépotoir a été remblayé et transformé en plateau sportif pour les jeunes de Tefaaroa.

Le Troisième Arbre Repère

Le troisième àutaraa centenaire se dressait majestueusement sur la rive gauche à l’entrée de la moyenne vallée. Il indiquait l’accès des sentiers qui mènent aux sites de pêche à la chevrette ou aux bains à la cascade. Il a été entièrement déssouché au profit de la construction de maisons.

Dans la rivière de Pōfaifaatara et dans ses affluents Tefaaiti et Vairutu, depuis la moyenne jusque dans la haute vallée, la pêche à la chevrette était pratiquée.

De jour, les adolescents faisaient leur apprentissage. De nuit, les adultes pêchaient pour nourrir leurs familles.

Les Vergers Naturalisés

Sur le versant est de la haute vallée se trouvent des vergers en partie issus de la prolifération naturelle : ânani, hoi, fēî, māpē. On y trouve aussi le âpura, cette variété de taro dont les jeunes feuilles constituent la meilleure espèce de fāfā.

La Cascade

À l’intérieur de la vallée, la rivière Pōfaifaatara est comme barrée par une muraille dans toute sa largeur. C’est l’énorme cascade de la vallée.

Les Chants de la Vallée

Enfin, comme il est d’usage dans tous les hauts lieux de vie ancestraux, la vallée de Tefaaroa dans la zone de « Ârue-Manahune », possède aussi un chant d’éloge, son paripari fenua, comme suit :

Ē teie te parau faateniteni
nō tōù faa iti nō Tefaaroa
E mouà tei nià ò Tātāfefe,
E tahua tei raro ò Farereia,
E paepae ò Tepaepaeroa,
E âroà ò Mouàòtahitirahi,
E na ôutu tei tai ò Honu
É ò Rāìāmanu;
E ôoà ò nā Âtitautu
E toà ò Māòti.
E vai ò Vaitārēua
É ò Vaiàama,
E tārava puna tei Ààupiri,
E rua âahi ò Huritāuà.
Ìa fati tāùe te miti i Māòti

E puehu te ìriiri i Pōfaifaatara.
I Māìvi te ià poa roa
É înaì te ià pōitoito
Te honu iha noa.
I te pārau pura nō Toàroa
E huri tāuà te àuhopu à te âahi
I te umu pūaa.

Et voici le chant d’éloge
de ma chère vallée de Tefaaroa
La montagne là-haut est Tātāfefe,
La place de réunion est Farereia,
Tepaepaeroa est la plate-forme,
Mouàòtahitirahi est la crête intérieure,
Les pointes Honu et Rāìāmanu
S’étirent vers la mer ;
Les baies sont les deux Âtitautu,
Le haut-fond est Māòti.
Les sources d’eau sont Vaitārēua
Et Vaiàama,
La pierre à poissons se trouve à Ààupiri,
Le trou à thons est Huritāuà.
Lorsque les vagues se cassent à Māòti,

Les galets sont raclés à Pōfaifaatara.
A Māìvi, il y a le poisson aux longues écailles:
Le produit de la mer est un poisson qui flotte
C’est la tortue qui jaillit (pour respirer).
Avec la nacre brillante de Toàroa,
La bonite et le thon péchés
Sont gras comme le porc cuit au four (tahitien).

Pour Terminer…

Au fil du temps, des aménagements ont été réalisés, aussi bien sur le plat que sur les pentes montagneuses de la basse et de la moyenne vallée de Tefaaroa. Ces réalisations, autorisées ou non, n’ont pas encore donné lieu à des situations désastreuses comme il a été constaté dans les vallées de nombreuses autres communes, notamment lors de la saison des pluies.

Ces travaux n’ont pas non plus transformé les paysages. Ce sont les mêmes depuis toujours. On peut croire que l’urbanisation n’a pas encore réussi à modifier la capacité d’accueil de la vallée de Tefaaroa, dans la commune de Ârue.

Bibliographie

BODIN Vonnick, « La langue et la société (étude linguistique et ethnologique) », Tome II, Institut national des langues et civilisations orientales, Tahiti, 1987.

TAILLEFER François, « Les méandres des rivières », L’information géographique, volume 13, n°3, pp. 120-125, 1949.

TEAUNA Pouira, « Tearapō – Papaòā Haapape », collection Parau no te Âià, livret Te Arapō n°1, département des traditions orales du Centre polynésien des sciences humaines (CPSH), réédition par le service de la culture et du patrimoine, 1997.

TEAUNA Arouira, « Te àai o Nāhiti e rua », manuscrit transcrit et traduit en langue française par le CPSH, 1998.

TEARIKI Gérald, « E mau parau nō tōù fenua o Ârue », enregistrements radiophoniques transcrits au département des traditions orales du CPSH, 2000.

Site internet de la commune de Ârue.

«Puta tupuna» (cahier d’un ancêtre) familial, inédit.