Papenoo
De Ara-ho-ho à la colline de Ta-pahi (qui divise) s’étend Papenoo (Eaux confluentes) dans le Nord. La montagne qui domine est Puraha (qui transmet la bienvenue) ; au-dessus le terrain de réunion est Pia (arrowroot) ; la pointe Fare-paa (Maison forte), la rivière Papenoo ou Vai-tu-òru (Eau dormante grossie) la plus grande rivière de l’île au courant rapide et souvent grossie par des pluies de l’intérieur. La grande passe dans le récif sous-marin s’appelle Papenoo et se trouve en face de la rivière du même nom, les marae étaient Ìvirau (ossements nombreux) et To-maru (Ton ombre). Le grand chef était Tupuaì-o-te-raì (Sommet du ciel), le chef inférieur Vanaa (Orateur). Le messager était Atiti-oroi (Racine tournante). La maison arioi était Te-ao-è-reva (La maison était espace) et le chef arioi était Vaa-iti-ma-te-toì-i-te-piha-ia-Tētā (Petit clan avec la hache de la chambre de refuge).
HENRY Teuira, « Tahiti aux temps anciens », Publications de la Société des Océanistes n°1, Musée de l’Homme, Paris, 2000, p.80.
La Pierre Haururu
Haururu tei puni hoho aè nei
I te hau o nā tamarii
Faatiàtià tara aìaì
I te tua o Matavai
Faimano1 arii te ruahine
I te mata o te maoaè
E heru, e heru i te ùramea
O te tahua i nià o Atoheiitarahatāmae.
TEAUNA Pouira dit Te Arapō, « Parau tumu nō Teaharoa », Parau nō te âià, livret n°2 p7 : Département des Traditions, 1999
Note
1 Faimano, mère de Hiro : HENRY T., Tahiti aux temps anciens, Société des Océanistes, Musée de l’Homme, Paris 2000, p.255
Le Marae à Te Ùra Vahine
Haapaìanoo i te tua o Àuviri
I Faarapa i te ivi rairai
Ò tei huri taère aè nei
I te hau o Moorere
I te atua ò Tanemataroa
Ò tei ài aè nei i te haururu
O nā vahine mata aìaì
O te toà pū ra ò Rautirare
Ò tei pīhaehae aè nei
I te hau o te arii ra
Ò Matatoì nō Tepiha iaTētā
TEAUNA Pouira dit Te Arapō, « Parau tumu nō Teaharoa », Parau nō te âià, livret n°2 p7 : Département des Traditions, 1999
Hapaianoo
Haapaianoo te piha ia Tētā
Te fenua o Vaa iti mā te toì
Te piha ia Tētā !
E tauraa mataì o Haapaianoo
O Haapaianoo te faa e nui
E piha tena no Tahiti
E haere Tahiti i reira i te àti,
Ia Tētā arii
Ora tura i te ìmi roa,
Ora tura i te tamaì
Tei Haapaianoo te ùru ia maa ìore.
HENRY Teuira, « Tahiti aux temps anciens », Société des océanistes, Paris, 2000
Mentalité féminine : Legende du Marara
Autrefois, dans la grande vallée de Papenoo, à flanc de montagne et à un tournant où la rivière principale reçoit un petit affluent, se trouve une grotte appelée « Te ana marara a rere a tau ». Cette grotte est assez spacieuse, haute d’une dizaine de mètres, profonde d’autant et mesure environ vingt mètres de large. Par une particularité assez curieuse de la nature, elle est divisée en deux par un mur allant du fond à l’ouverture, mais n’atteignant pas la voûte, de sorte qu’on peut facilement l’escalader et que de l’un des compartiments on entend tout ce qui se dit dans l’autre. Elle est orientée vers le soleil levant et de telle façon que l’on n’aperçoit la mer que de l’une des salles, la vue de l’autre se trouvant masquée par la montagne. C’est là que nous nous trouvions un soir, confortablement installés pour passer la nuit sur des lits de fougère desséchée et regardant distraitement les reflets rougeâtres que le feu allumé dans la salle voisine qui nous servait de cuisine projetait sur la voûte, lorsque le vieux Tavi qui nous servait de guide nous raconta la légende suivante que je transcris littéralement :
Dans les temps anciens où les habitants de Tahiti étaient trop nombreux pour vivre tous sur le rivage, cette grotte était habitée par un homme Turi et sa femme Reva dans ce compartiment-ci, et par un homme Tere dans le compartiment d’à côté. Tere n’avait pas de femme. Pendant très longtemps, ils vécurent en bons voisins ; le célibataire venait souvent le soir après le coucher du soleil faire la causette avec Turi et Reva. Ils se donnaient réciproquement des vivres suivant les circonstances. Quelquefois Tere ou Turi descendait à la plage pour chercher du sel « paatai » et toujours le partage s’effectuait au retour ; si l’un ou l’autre faisait bonne pêche, anguilles, chevrettes ou nato, le produit en était également partagé. Mais il arriva un temps où toute nourriture devint rare ; les feïs ne produisaient pas, les rivières étaient dépourvues de poissons et la famine se fit bientôt sentir. Pendant les premiers temps de cette disette, leur sincère amitié les poussait à partager loyalement les rares victuailles qu’ils avaient la chance de trouver. Mais petit à petit les choses changèrent ; Tere s’aperçut que le ménage Turi avait quelquefois de bonnes aubaines qu’il mangeait en cachette. Il en conçut une grande colère et, pour se venger de son ami, résolut de lui enlever sa compagne. Il continua cependant à faire bonne figure à Turi, mais ne partageait plus rien avec lui et sa femme. En outre il profitait de toutes les sorties de son voisin pour passer le mur et faire des propositions malhonnêtes à Reva, qui toujours les repoussait, le menaçant d’en informer son mari. Il fut d’abord doux et persuasif, puis il voulut employer la force, mais toujours sans atteindre son but, tellement Reva était fidèle à Turi. Il pensa alors qu’en se privant un peu pour pouvoir donner quelque chose de plus à manger à Reva, il la disposerait favorablement à son égard. Dès lors, chaque fois qu’il le pouvait, il glissait à sa voisine quelque friandise, un morceau d’igname sauvage, ou un feï vert, trouvé à grand peine dans un vallon éloigné. Elle acceptait tout de bon cœur, et quoique Tere lui recommanda de manger séance tenante, elle disait toujours : « Non, je partagerai avec mon mari. » Ceci lui causait de la peine, mais, d’un autre côté, comme elle semblait être moins rigide à son égard, il continua son petit manège. Un jour, il découvrit qu’à peine il avait tourné le dos, Reva avalait tous les aliments qu’il lui donnait sans se soucier d’en laisser la moindre parcelle pour son mari. Ceci le remplit de joie et il se dit : « C’est par son ventre que je prendrai cette femme ; je ne crains plus rien, je l’aurai ; je n’ai plus qu’à attendre le moment propice. » Ce moment arriva le soir même. Turi était rentré avec une belle anguille qu’il avait eu la chance extraordinaire de trouver dans un ruisseau très éloigné. Il se mit à la préparer pour leur repas du soir ; l’enveloppa soigneusement dans des feuilles de bananier et la mit cuire sur les charbons ardents. Reva ne se possédait pas de joie à la pensée de manger de ce délicieux poisson dont ils étaient privés depuis si longtemps. Tere reniflait avec envie l’odeur de la cuisine de ses voisins et cherchait un moyen de mettre à exécution son projet. De son compartiment, il pouvait voir la mer, tandis que de celui de ses voisins on ne voyait que la montagne en face. Il se mit donc à crier de toutes ses forces en regardant la mer ; « Ah, le beau bateau, ah, qu’il est grand ! Qu’il vogue vite ! Dire qu’il va disparaître et mes amis ne l’auront même pas vu. Ah, quel dommage ! », et il continuait à pousser de telles exclamations que Turi et Reva accoururent à ses côtés pour contempler cette merveille, laissant leur anguille dans son enveloppe de feuilles de bananier, posée sur la braise ardente. « Ah ! vous arrivez trop tard, dit Tere, le navire vient de disparaître derrière cette montagne, attendez un instant que je grimpe sur le mur, je vous dirai s’il est visible de là ». Les deux époux regardent naïvement l’horizon et Tere de passer vivement dans leur compartiment, de prendre le paquet contenant l’anguille et de repasser de nouveau chez lui, en leur criant : « On ne voit rien de là-haut, mais j’ai pu me rendre compte que votre dîner est complètement consumé par les flammes. » Il avait eu soin en emportant l’anguille de jeter une brassée de fougères sèches sur les braises et une grande flamme s’éleva. Turi et Reva se précipitèrent chez eux et ne trouvant plus trace de leur anguille ils furent persuadés que le feu l’avait consumée. Il s’ensuivit une dispute où l’on échangea des paroles amères : Reva dit à Turi qu’il ne méritait pas d’avoir une femme, puisqu’il n’arrivait pas à la nourrir ; elle ajouta qu’il fallait être un fier imbécile pour n’avoir pas songé à écarter les matières inflammables de la braise, lorsqu’on faisait cuire un mets aussi précieux. Pendant ce temps, Tere mangeait l’anguille tout en se livrant à haute voix aux réflexions suivantes : « En ai-je eu de la chance d’avoir attrapé une si belle anguille, et avec ça si près d’ici. Je me demande comment mon voisin Turi ne l’a pas trouvée avant moi ; lui qui a une femme à nourrir, il devrait être plus adroit que moi qui suis seul ». Reva entendait ces propos et ne tarda pas à se rendre compte que Tere avait vraiment une anguille, car l’odeur en parvenait jusqu’à elle. Elle eut vite fait de prendre son parti : « Je m’en vais, dit-elle à Turi, je vais rejoindre Tere qui, lui, a bien su trouver, cuire et ne pas laisser brûler une anguille. Désormais je serai sa femme et je resterai avec lui ». Turi eut beau la supplier de rester et lui promettre les mets les plus succulents, rien ne l’arrêta. Elle s’en alla vers Tere dont elle partagea le souper et la couche. Turi de son côté maugréait contre sa mauvaise fortune et sa négligence. « J’aurais dû, se disait-il, faire plus attention au feu », et il ne savait que gémir et pleurer. Les jours passèrent, et Reva restait toujours avec Tere. Turi chantait quelquefois ou jouait de la flûte, quoique sans beaucoup d’entrain, espérant que sa musique évoquerait chez Reva le souvenir de son amour et la ferait revenir à lui, mais hélas sans succès. Il allait en faire son deuil, quand l’idée lui vint d’aller demander conseil à son vieil oncle qui demeurait dans la plaine, au bord de la mer. L’oncle l’accueillit très bien et lui dit en souriant : « Mon enfant souviens-toi d’une chose : la femme ne suit que son désir, elle n’aime que l’homme fort, rude et subtil, qui peut satisfaire tous ses caprices. Et puisque dans le cas de Reva, c’est le désir de manger des aliments qui est la passion dominante, il nous faut pour la reconquérir faire tomber devant elle une pluie d’aliments. D’après ce que tu m’as raconté, il semblerait que le poisson est son mets préféré, il faut donc que cette pluie d’aliments soit une pluie de poissons. Je vais te tirer d’embarras, tu n’auras qu’à suivre mes conseils. Retourne donc à la montagne, prends un air dégagé, chante, joue de ta flûte, et tous les soirs, jusqu’à la pleine lune, adresse à haute voix une prière aux dieux de tes ancêtres pour qu’ils t’envoient une pluie de poissons. Trois nuits après la pleine lune, tu profiteras du moment entre le coucher du soleil et le lever de la lune pour abattre la tête de tous les pieds de feï qui couvrent le flanc de la montagne devant la grotte, jusqu’au fond de la vallée. J’arriverai alors avec des centaines de poissons volants et j’en accrocherai à chaque tronc que tu auras décapité. A ce moment, je te dirai ce que tu auras à faire ». Le jeune homme partit presque consolé, assuré, qu’avec l’aide de son oncle, il regagnerait bientôt sa femme. L’oncle fut fidèle au rendez-vous ; il avait pris une quantité de poissons volants et, en compagnie de son neveu, il en mit un ou deux, même trois, sur chaque tronc de feï suivant leur grandeur. Quand tout ceci fut terminé, il dit à Tere : « Remonte maintenant à ta grotte ; tiens-toi à l’entrée et prononce à haute voix de manière à être entendu de Turi et de Reva l’incantation suivante : « O dieux de mes ancêtres, venez à mon aide, « Apportez-moi des aliments, du poisson de préférence, « Faites pleuvoir sur moi, une pluie de poissons. « Et pour mieux faire voir votre puissance, « Détruisez ces arbres sans fruits qui se trouvent devant moi ; « Ordonnez aux poissons de la mer de prendre leur essor : « Qu’ils volent jusqu’à moi. Exaucez ma prière. « Faites que dans quelques instants, je puisse voir que vous « avez exaucé le fils de ceux qui vous ont toujours servis ». « Tu répéteras cette prière, continua l’oncle, jusqu’à ce que la lune apparaisse au-dessus de la crête de la montagne et le spectacle qui s’offrira aux yeux des habitants de la grotte sera prodigieux. Sous les rayons de la lune tous les poissons scintilleront comme autant d’étoiles. Tu pousseras alors de grands cris de joie et tu rendras grâce aux dieux de tes ancêtres, puis tu appelleras Tere et Reva pour qu’ils contemplent ton œuvre, et tu demanderas à Tere si ses dieux pourraient en faire autant. Profite de l’embarras où il se trouvera pour le tourner en ridicule aux yeux de Reva à qui tu offriras du poisson. Tu verras qu’elle ira droit se coucher dans ton compartiment tant elle sera émerveillée de la puissance de tes dieux. » Turi suivit à la lettre les conseils de son oncle, et il arriva exactement ce que celui-ci avait prédit : Reva repassa sans façon du côté où elle trouvait à satisfaire son appétit.
Orsmond H. WALKER, « Mentalité féminine », Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes n°8 p 29-33.